Article du numéro 27 :
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Négatif , bulletin irrégulier

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Nous avons un monde à conquérir



Dire d’un mouvement qu’il est défensif ne le rend pas infréquentable. Faute de mieux, nous passons notre vie à nous défendre, individuellement ou collectivement, dans le milieu du travail ou ailleurs. Et il le faut bien, si nous ne voulons pas nous faire écraser par un petit ou un grand chef, un patron ou un directeur d’administration. Le problème commence lorsque l’on considère les divers mouvements d’ampleur qui ont émaillé les dernières années, voire les dernières décennies. Tous, par la force des choses, ont été défensifs, tous, à de rares exceptions, ont échoué, et les victoires ponctuelles se sont transformées en défaites au fil du temps. La bourgeoisie sait ce que c’est que la lutte des classes, elle la mène sans relâche, avec opiniâtreté et savoir-faire, son savoir-faire, celui qui fut toujours le sien, pétri d’idéologie, de manipulation et de violence. La bourgeoisie, la plupart du temps, a mené la danse, et lorsque qu’elle a dû temporiser, elle a su réagir. Elle a su reprendre, en cinq décennies, d’abord prudemment, puis en accélérant le rythme, tout ce qu’elle avait concédé dans l’après-guerre. C’est elle qui impose son calendrier, celui de ses « réformes », singeant, s’il le faut, la concertation, brandissant la « pédagogie », comme on brandissait, autrefois, le martinet réservé aux enfants récalcitrants, et ouvrant toutes grandes les vannes de la répression quand il le faut, comme récemment, contre les gilets jaunes. Et il le faut de plus en plus souvent, si bien qu’il règne tout de même une drôle d’atmosphère dans les rues des grandes, et même des plus petites villes depuis maintenant une année, les jours de manifestation, mais pas seulement. Une drôle d’atmosphère, à laisser songeurs nombre de ceux qui s’étaient béatement laissés bercer par les paroles toujours en évolution de la fable démocrate. Mais c’est peut-être cela, la Démocratie AOC !

La grève du 5 décembre contre ladite réforme des retraites, dont nous verrons bien si elle sera massive et illimitée, s’inscrit, de prime abord, dans le cadre de ces mouvements défensifs. Elle interviendra, en pleine phase d’accélération de l’offensive folle et destructrice du capital en route vers le néant, dans le prolongement du mouvement de résistance des gilets jaunes. C’est contre ladite réforme des retraites qu’il s’agit aujourd’hui de se défendre. Son contenu illustre bien la considération décroissante de la confédération des « managers » pour tous ceux qui ne lui servent désormais plus à rien, en l’occurrence les retraités, devenus boulets au même titre que les chômeurs, pour ne citer qu’eux. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que pour ces gens-là, nos existences ne valent plus tripette à partir du moment où elles ne peuvent plus être mises à leur service. À travers cette « réforme », c’est la logique inhumaine d’un système qui est mise à nu par ses propriétaires, même. C’est contre cette logique qu’il s’agit de se battre au mois de décembre et après. Le mouvement des gilets jaunes s’est affirmé, au fil des mois, comme la conscience de plus en plus aiguë qu’il n’était plus possible de s’embourber dans la routine des journées d’action et des lendemains de dépression. C’est une aspiration beaucoup plus profonde qui a commencé, concrètement, à se frayer un chemin, à travers les communautés ouvertes et fraternelles des ronds-points. Cette aspiration-là est irréductible à toute forme de réformisme, à toute forme d’aménagement de la survie. Elle a toujours été là, présente, lors des mouvements qui se sont développés depuis des années, mais elle est restée sous-jacente. Il faut désormais qu’elle s’exprime, par les mots et par la pratique.

En décembre, et après, ce n’est pas seulement contre ladite réforme des retraites que nous ferons grève, mais contre le monde du capital et sa barbarie annoncée.