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Le réchauffement climatique comme critique séparée



Les bouleversements et catastrophes liés au réchauffement de la planète sont devenus bien trop visibles pour être passés sous silence par les pouvoirs en place et leurs filiales médiatiques. Le « climato-scepticisme » n’est plus une option tenable, tant sont évidentes les causes des phénomènes.

Comme toujours, l’idéologie et son armée de mots réduits à servir répondent présentes. Nous serions entrés, depuis déjà bien longtemps, plusieurs milliers d’années, dans l’« anthropocène », cette nouvelle période géologique marquée par l’influence des hommes sur le climat. Ainsi, par un tour de passe-passe, ce seraient bien les hommes, à travers leurs activités pour survivre et vivre, et donc dans un sens la vie elle-même, qui seraient responsables de ce qui arrive aujourd’hui. Charmante façon de noyer le poisson, pour éviter de désigner un système dont la logique est tout sauf humaine, et l’emploi du seul terme qui conviendrait : le capitalocène.

C’est ainsi que ce système, exonéré d’une responsabilité liée à sa nature même, peut se présenter comme le sauveur suprême, grâce à la mise en place de solutions technologiques innovantes, et même aller jusqu’à présenter l’énergie nucléaire, dont l’humanité a déjà fait et continue de faire l’expérience des radieuses conséquences, comme une énergie verte.

L’opération de séparation est donc en cours de réussite, avec l’aide involontaire de tous ceux qui, conscients d’une fraction du problème seulement, pensent qu’il peut être résolu sans qu’il soit besoin de s’en prendre à ses racines profondes : la domination d’une classe prête à tout pour assurer sa propre perpétuation ainsi que celle du système qui assure sa richesse financière.

« (…) la simple vérité des ‘‘nuisances’’ et des risques présents suffit pour constituer un immense facteur de révolte, une exigence matérialiste des exploités, tout aussi vitale que l’a été la lutte des prolétaires au XIXe siècle pour la possibilité de manger » [1]. Au lieu de cela, la critique du réchauffement climatique au nom de l’urgence (cette urgence est bien réelle), mais séparée d’une critique sociale globale, ainsi que la « revendication » de mesures immédiate de la part de l’État, vont justement permettre à celui-ci, ô ironie suprême, de se mettre à la tête de la lutte contre le réchauffement et de faire passer encore plus facilement sa politique coercitive.

C’est au nom de la lutte contre le réchauffement qu’on justifie par exemple déjà l’abandon progressif du papier (faux prétexte, puisque les « big data » dépensent une énergie folle), « avantageusement » remplacé par les supports numériques ; que l’on mettra donc tout le monde devant un écran (c’est déjà largement fait), que l’on fera, après l’épidémie de Covid, si jamais elle se termine, et au nom des économies d’énergie, travailler les gens chez eux, supprimant ainsi les frontières entre le domicile et le travail (l’être au travail se substituant à l’être humain); que l’on supprimera les billets et les pièces de monnaie (mais pas l’argent, pas la marchandise, pas le salariat), rendant ainsi les transactions électroniques obligatoires, et établissant par là-même un contrôle absolu sur les faits et gestes de chacun. Une survie lisse, progressivement sans livres, sans passé et sans présent, dans l’univers glacé et à la fois bouillant des machines, et même pas sans CO2, nous pouvons en prendre le pari.

La lutte contre le réchauffement climatique en tant que critique séparée n’est effectivement rien d’autre qu’un réformisme de plus. Mais il est aussi l’expression d’une tragédie.


1. Guy Debord, La Planète malade, Paris, Gallimard, 2004, p. 84. L’auteur emploie cette phrase, en 1971, à propos de la pollution, dont « les maîtres de la planète sont obligés maintenant de parler ». Il fait alors le constat qu’« un nouveau réformisme se dessine, qui obéit aux mêmes nécessités que les précédents : huiler la machine et ouvrir de nouvelles occasions de profit aux entreprises de pointe. »